Le Petit Poisson Noir - Ata Gallery - Peinture Numérique - Digital Painting

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Le Petit Poisson Noir

LIVRE



Le Petit Poisson Noir
Ce chef-d'oeuvre de la littérature iranienne de Samad Behrangui est publié en 1968
Traduit et illustré par Ata Irvani




C'était la nuit de Yalda, la première nuit d’hiver.

Au fond de la mer, un vieux poisson avait réuni ses douze mille enfants et petits-enfants. Il leur racontait ce récit.
  
« Il était une fois, un Petit Poisson Noir qui vivait avec sa mère dans un petit cours d'eau.

Ce cours d'eau jaillissait des rochers et coulait au fond de la vallée.

La maison du Petit Poisson Noir et de sa mère se trouvait derrière une pierre   noire, sous un toit de mousses.
  
Le Petit Poisson Noir désirait voir au moins une fois dans leur maison, le clair de lune !

Le Petit Poisson Noir était enfant unique, car des dix mille œufs qu’avait pondus sa mère, il était le seul survivant.
  
La mère et l'enfant se poursuivaient du matin au soir. Ils se mêlaient quelquefois aux autres poissons, allaient et venaient très vite dans peu de place.
  
Depuis quelques jours, il était préoccupé et parlait peu. Avec lassitude et sans entrain, il allait et venait d'un côté, de l'autre. La plupart du temps, il était distancé par sa mère.

La mère croyait que son enfant était souffrant et que cela passerait vite.

Mais, le mal-être du Petit Poisson Noir venait d'ailleurs.
  
Un matin, avant l'aube, il réveilla sa mère et dit :
- Mère ! Je voudrais te parler.
  
La mère encore somnolente dit :
- Cher enfant ! Maintenant ? Ce n'est pas le moment ! Tu me parleras   plus tard. N'est-ce pas mieux d'aller se promener ?
  
- Non mère, je ne veux plus me promener. Je voudrais partir d'ici.
  
- Faut-il absolument que tu partes ?
  
- Oui mère, il faut que je m'en aille.
  
- Mais enfin, un matin, si tôt, où veux-tu aller ?

- Je voudrais aller voir où finit le cours d'eau. Sais-tu mère, depuis plusieurs mois j'y songe et je n’ai toujours pas de réponse ! Depuis hier  soir, je n'ai pas pu fermer l'œil. Finalement, j'ai décidé d'aller trouver la fin du cours d'eau. J'aimerais savoir ce qui se passe ailleurs.
  
La mère rit et dit :
- Moi aussi, quand j'étais enfant, je pensais à la même chose que toi. Mais enfin, mon chéri, le cours d'eau n'a ni début, ni fin. C'est comme ça !   Il s’écoule toujours et n'arrive nulle part.

- Voyons, mère ! Tout n'a-t-il pas un début et une fin ? Le jour touche   à sa fin, la nuit finit, la semaine, le mois, l'année…
  
La mère lui a coupée la parole et dit :
- Laisse ces paroles de côté. Lève-toi, allons maintenant nous promener, ce   n'est pas le moment de parler ainsi.

- Non mère, je suis las par de pareilles promenades. Je veux aller voir ce qui se passe ailleurs. Tu vas peut-être penser que quelqu'un m'a influencé. Bien entendu, j'ai appris beaucoup de choses des uns et des autres. Par exemple, j'ai compris que la plupart des poissons en vieillissant se plaignent d’avoir gaspillé leur vie inutilement. Ils gémissent et maudissent leur sort tout le temps !! Ils se lamentent de tout. Je veux savoir si la vie signifie vraiment de faire des allers-retours dans un si petit espace, ou qu’il est possible de vivre dans le monde d’une autre manière.
  
Quand il eut fini, sa mère dit :
- Cher enfant, as-tu perdu la raison ? Le monde, le monde ! Qu'est-ce que cela signifie ? Le monde c'est là où nous sommes et la vie c'est ce que nous avons…

Un grand poisson s'approcha alors de leur maison :
- Voisine, pourquoi te chamailles-tu avec ton enfant ? N'avez-vous pas l'intention   de vous promener aujourd'hui ?
  
La mère sortit de sa maison et lui répondit :
- Quelle drôle d’époque ! Maintenant, les enfants veulent apprendre des   choses à leur mère !

- Comment ça ?

- Regarde, où veut-il aller ce poucet !? Il me répète sans arrêt, je veux   aller voir ce qui se passe dans le monde ! Que de grands mots !

La voisine s'adressa au Petit Poisson Noir :
- Petit ! Dis-moi, depuis quand es-tu devenu savant et philosophe ? Tu ne nous as pas mis au courant !
 
- Madame, je ne sais pas à qui vous dites « savant » et « philosophe ». Je suis juste fatigué de ces promenades et je ne veux plus continuer ces flâneries ennuyeuses et être heureux sans raison et ouvrir un jour les yeux et de me rendre compte que je suis un vieux poisson, comme vous, ignorant.

La voisine :
- Oh ! Quelles paroles !
  
La mère dit :
- Je n'aurais jamais pensé que mon unique enfant serait comme cela. Je me   demande qui a influencé mon cher enfant.

- Mère, personne ne m'a influencé. J'ai une intelligence et je pense. J'ai   des yeux et je vois.
  
La voisine dit à la mère :
- Sœur ! Te rappelles-tu   l'escargot tortueux ?

- Ah oui, tu as raison, il suivait trop mon enfant. Que dieu le maudisse !

- Arrête mère ! Il était mon ami.

- On n'avait encore jamais entendu parler d'une amitié entre un escargot et un poisson !
  
Le Petit Poisson Noir répondit :
- Moi, je n'avais jamais entendu dire qu'il existait une animosité entre eux et pourtant vous l'avez éliminé.
  
La voisine répliqua :
- C'est du passé.
  
Le Petit Poisson Noir rétorqua :
- Ce n'est pas moi qui en ai parlé.
  
Sa mère dit à la voisine :   
- Il méritait qu'on l'élimine. As-tu oublié ses allées et venues et ce   qu'il disait ?
  
-Donc, éliminez-moi aussi. Car, je dis la même chose que lui.

Le ton de leur dispute attira d'autres poissons. Les paroles du Petit Poisson   Noir les irritaient.
  
L'un des vieux poissons dit :
- Tu t'imagines qu'on aura pitié de toi ?
  
Un autre dit :
- Il a seulement besoin d'une petite punition.

La mère du Petit Poisson Noir cria :
- Ecartez-vous ! Ne touchez pas à mon enfant !
  
Un des poissons murmura :
- Madame, si vous n'éduquez pas votre enfant comme il le faut, vous   devrez en subir les conséquences.
  
La voisine poursuivit :
- J'ai honte de vivre dans votre voisinage.

Un autre poisson suggéra :
- Tant qu'il n'est pas encore devenu dangereux, faisons-lui subir le même   sort qu'au vieil escargot.

Dès que les poissons voulurent se saisir du Petit Poisson Noir, ses amis l'entourèrent et le sortirent de cette agitation.
  
La mère désemparée pleurait et répétait :
- Je vais perdre mon enfant. Que puis-je faire ?

- Mère ! ne pleure pas pour moi, mais pour ces vieux poissons sans espoirs et   ignorants.

Un des poissons cria de loin : « Ne nous insulte pas petit.
  
Un second : « Si, tu t'en vas et qu'après tu le regrettes, nous ne te laisserons pas revenir ! »

Un troisième : « Il ne s'agit que de désirs de jeunesse. Ne t'en va pas. »

Un quatrième : «Quels défauts trouves-tu à notre cours d'eau ? »
      
Un cinquième : « Il n'y a pas d'autre monde. Le monde est là. Reviens ! »

Un sixième : « Si tu deviens raisonnable et si tu reviens, nous comprendrons que tu es vraiment un poisson intelligent.

Un septième : « Enfin nous sommes habitués à te voir ici…"

Sa mère dit :
- Aie pitié de moi, ne t'en va pas ! Ne t'en va pas !
  
Le Petit Poisson Noir n'avait plus rien à leur dire. Quelques-uns de ses amis l'accompagnèrent jusqu'à la chute d'eau et s'en retournèrent.
  
Lorsqu'il les quitta, il leur dit :
- Au revoir ! J'espère que nous nous reverrons ! Ne m’oubliez pas.
  
Ses amis lui répondirent :
- Nous ne t'oublierons jamais. Tu nous as ouverts les yeux et tu nous as appris des choses auxquelles nous n’avions pas réfléchies. En espérant que l'on se reverra, au revoir l'ami, sage et courageux !
  
Le Petit Poisson Noir descendit la cascade et tomba dans un étang. Il se perdit au début, puis il commença à nager et à faire le tour de l’étang.
  
Jusqu'à ce jour, il n'avait jamais vu autant d'eau dans un même endroit.

Des milliers de têtards grouillaient.

Dès qu'ils virent Le Petit Poisson Noir, ils se moquèrent de lui et dirent :
- Quel drôle d'individu ! De quelle espèce es-tu ?

Le Petit Poisson Noir les toisa et dit :
- S’il vous plaît, ne m’injuriez pas. Je suis un Petit Poisson noir. Dites-moi comment vous appelez-vous ?
  
Un des têtards répondit :
- Nous nous appelons, Têtard.

Un deuxième dit :
- Avec une belle lignée.

Un troisième continua :
- Plus beau que nous, n’existe pas dans le monde.

Un autre ajouta :
- Nous ne sommes pas comme toi, difforme et laid.

Le Petit Poisson Noir avec un sourire moqueur répondit :
- Rien ne me permettait de penser que vous seriez à ce point imbu de vous-mêmes. Mais, je comprends. Vous dites tout ça par ignorance.
  
Les têtards dirent d'une même voix :
- Veux-tu dire que nous sommes idiots !?

- Si vous ne l'étiez pas, vous sauriez qu'il y a dans le monde beaucoup d'autres créatures qui se trouvent très beaux ! Même votre nom est un nom d’emprunt.
  
Les têtards s'énervèrent. Lorsqu'ils virent que Le Petit Poisson Noir ne disait que la vérité, ils tentèrent une diversion :
- De toute façon, tu te fatigues pour rien ! Nous nous promenons tous les jours, du matin au soir, dans le monde. Mais, à part nos parents, nous ne   voyons personne, sauf des petits vers qui ne comptent même pas.

- Vous ne sortez pas de l’étang, comment pouvez-vous prétendre voir le monde !?- A part ici, y a-t-il un autre univers?

- Au moins, vous devriez vous demander d'où arrive cette eau et s'il existe autre chose en dehors de celle-ci.

- En dehors de l'eau !? Que dit-il encore ? Nous n'avons jamais rien vu en dehors de l'eau ! Haha ha… Haha ha… Tu es fou !
  
Le Petit Poisson Noir faillit éclater de rire. Il pensa qu'il valait mieux laisser les têtards et partir. Puis, il se dit qu'il serait préférable   de dire deux mots à leur mère. Il demanda :
- Où est votre mère ?
  
Brusquement, une voix aiguë le fit sursauter.
  
Une grenouille assise sur une pierre au bord du lac sauta dans l'eau, vint à côté du Petit Poisson Noir et dit :
- Je suis là. Que veux-tu ?

- Bonjour Madame !

La Grenouille agacée répondit :
- Ce n'est pas le moment de te faire valoir. Ce ne sont que des enfants. Veux-tu les impressionner ? Moi, j'ai suffisamment vécu pour comprendre que   le monde se résume à cet étang. Il vaut mieux que tu ailles t'occuper de tes   affaires et que tu n'écartes pas mes enfants de leur chemin.
  
- Même si tu vis cent fois, tu ne resterais qu'une grenouille prétentieuse et niaise.
  
La grenouille s'énerva et nagea en direction du Petit Poisson Noir. Le poisson bougea rapidement et partit comme un éclair en remuant le sédiment, la vase et les vers du fond de l’étang.
  
La vallée était sinueuse, et l'eau du cours d'eau avait décuplé, mais si on avait pu regarder du haut de la montagne le fond de la vallée, on aurait vu le ruisseau comme un fil blanc.

A un endroit, un rocher s'était détaché de la montagne et était tombé au fond de la vallée, au milieu du ruisseau. Un lézard, grand comme la paume de la main avait collé son ventre sur la pierre. Il se délectait de la chaleur du soleil.
  
Il regardait un gros crabe rond qui était assis au fond du ruisseau, sur le sable, à l'endroit où l'eau était moins profonde où il mangeait une grenouille qu'il venait de chasser.

Brusquement, Le Petit Poisson Noir le vit et eut peur. De loin, il lui dit, bonjour !

Le crabe le regarda de travers et répondit :
- Quel poisson poli ! Avance petit, avance !

Le Petit Poisson Noir lui répondit :
- Je vais visiter le monde et je ne voudrais pas être attrapé par vous.

- Pourquoi vois-tu tout en noir. Es-tu froussard, petit poisson ?

- Je ne suis pas peureux, ni pessimiste. Je décris ce que mon bon sens   me dicte.

- Bien, dis-moi alors, que voient tes yeux et que dit ta raison ? Tu   imagines que je vais te chasser ?
  
- Ne fais pas l'innocent !

- Tu fais allusion à la grenouille ? Tu es complètement naïf, dis donc ! J'ai une rancune envers les grenouilles, c'est pour ça que je les chasse. Le sais-tu ? Elles pensent qu'elles sont les seuls être qui existent au monde, et elles sont heureuses. Mais, je voudrais leur faire comprendre à qui appartient le monde. Donc, n'aie plus peur mon cher, avance, viens !
  
Le crabe prononça ces mots et commença à marcher de travers et à reculons vers Le Petit Poisson Noir.
  
Sa démarche fut tellement ridicule qu'involontairement le poisson pouffa et dit :
  
- Malheureux ! Tu n'as pas encore appris à marcher, comment peux-tu savoir à qui appartient le monde ?
  
Le poisson se tint à distance du crabe. Soudain, une ombre passa à
travers l'eau et subitement un coup violent enfonça le crabe dans le sable.

Le lézard, en voyant la mine du crabe, se désopila tellement qu'il glissa et   faillit tomber lui-même dans l'eau. Le crabe ne fut plus en mesure de se dégager.
  
C'est alors que le Petit Poisson Noir vit un petit berger qui se tenait debout au bord de l'eau. Il regardait le poisson et le crabe.
  
Un troupeau de moutons et de chèvres s'approchèrent du ruisseau. Ils plongèrent leurs museaux dans l'eau. Leurs bêlements et leurs chevrotements envahissaient la vallée.

Le Petit Poisson Noir patienta jusqu'à ce que les chèvres et les moutons aient fini de boire et soient partis. Alors, il appela le lézard :
- Cher Lézard ! Je suis un Petit Poisson Noir qui vais chercher la fin du ruisseau. Je pense que tu es une créature sensée. C'est pour cette raison que   je voudrais t'interroger.

- Demande-moi ce que tu voudras.

- Sur le chemin, on m'a beaucoup effrayé en me parlant du pélican et du poisson-scie. Peux-tu m'en parler ?

- Le poisson-scie et le pélican, on ne les trouve pas par ici. En particulier, ce poisson qui vit en mer. Mais, le pélican pourrait être un peu plus en aval. Prends garde, ne te laisse pas attraper dans la poche de son bec.

Le Petit Poisson Noir demanda :
- Quelle poche ?

Le lézard patiemment répondit :
- Le pélican a sous son cou une poche qui contient beaucoup d'eau. Il nage à la surface de l'eau. Régulièrement, les poissons sont happés dans sa poche et vont directement dans son estomac. Bien entendu, si le pélican n'a plus faim, il les gardera en réserve dans sa poche pour les manger plus tard.
  
- Et si un poisson entre dans sa poche, il ne peut plus en sortir ?

- Il n'existe aucune possibilité. Sauf, s'il déchire la poche. Je te donne un   poignard dans le cas où tu serais pris par le pélican.

Alors le lézard rampa dans la fente du rocher et revint avec un minuscule poignard.
  
Le petit poisson le prit et dit au lézard :
- Cher lézard ! Tu es très avenant, je ne sais comment te remercier.
  
- Il n'est pas nécessaire de me remercier, mon cher ! Je possède beaucoup de ces poignards. Quand, je n'ai rien à faire, je m'assois et je les fabrique avec des épines des plantes et je les donne aux poissons avertis comme toi.
  
- Y a-t-il eu, avant moi, d'autres poissons qui sont passés par ici ?
  
- Beaucoup sont passés ! Et, maintenant, ils sont devenus tout un groupe   qui importune le pêcheur.

- Excuse-moi, la parole entraîne la parole, j'espère que tu ne me trouves pas indiscret. Dis-moi comment le tracassent-ils ?

- Comme ils sont nombreux, dès que le pêcheur lance son filet, ils pénètrent tous à l'intérieur et l'entraînent au fond de la mer.
  
Le lézard mit son oreille dans la fente de la pierre, écouta et dit :
- Je vais me retirer. Mes enfants se sont réveillés.

Le lézard partit dans la fissure du rocher et Le Petit Poisson Noir, perplexe, reprit son chemin. Il se posa sans arrêt des questions. Les unes après les autres.

- Voyons, est-ce que le ruisseau se déverse dans la mer ?

- Le poisson-scie peut-il avoir le courage de tuer les espèces de sa race et de les manger ?

- Quelle animosité le pélican pourrait-il avoir envers nous ?

Le petit poisson nagea et pensa. Dans chaque parcelle du chemin, il vit et apprit des choses nouvelles.
  
Maintenant, il prenait plaisir à descendre des cascades en roulé-boulé et nager ensuite. Il sentait la chaleur du soleil sur son dos et prenait des forces.
  
A un endroit, un chevreuil buvait précipitamment. Le petit poisson le
salua :
- Beau chevreuil ! Pourquoi es-tu si pressé ?
  
- J'ai un chasseur à mes trousses. Il m'a tiré une balle ici.

Le poisson ne vit pas sa blessure, mais, il comprit que le chevreuil était blessé, lorsqu'il le vit courir en boitant.
  
À un endroit, un chevreuil buvait précipitamment. Le petit poisson le salua   :
- Beau chevreuil ! Pourquoi es-tu si pressé ?
  
- J'ai un chasseur à mes trousses. Il m'a tiré une balle ici.

Le poisson ne vit pas sa blessure, mais, il comprit que le chevreuil était blessé, lorsqu'il le vit courir en boitant.
  
Plus loin, les tortues paressaient sous la chaleur du soleil. Ailleurs, les éclats de rire des perdreaux remplissaient la vallée. Le parfum des plantes embaumait l'air, flottait et se mélangeait à l'eau.
  
L'après-midi, Le Petit Poisson Noir arriva dans un lieu, où la vallée s'élargissait. L'eau traversait un bosquet. L'eau avait tellement augmenté volume que le poisson noir prit un vif plaisir à y nager.
  
Ensuite, il rencontra un banc de poissons. Depuis qu'il avait quitté sa mère, il n'avait pas vu d’autres poissons.
  
Quelques poissons minuscules se réunirent autour de lui et dirent :
- Il semblerait que tu ne sois pas d'ici.
  
- En effet, je ne suis pas d’ici, je viens de très loin.

- Où veux-tu aller ?

- Je voudrais aller voir la fin du ruisseau.

- Quel ruisseau ?

- Ce ruisseau dans lequel nous nageons.

- Nous le nommons rivière.
  
Le Petit Poisson Noir ne dit rien. Un des poissons minuscules l'interpella :
  
- Sais-tu que le pélican se trouve sur le chemin ?

- Oui, je le sais.

- Sais-tu aussi qu'il possède une grande poche ?
  
- Je le sais aussi.

- Malgré ça tu veux encore y aller ?

- Oui, il faut à tout prix que j'y aille !
  
Très rapidement, le bruit courut parmi les poissons minuscules, qu'un petit poisson noir venant de loin, voulait aller voir la fin de la rivière et qu'il n'avait pas peur du pélican Quelques poissons minuscules furent tentés d'aller avec le poisson noir.
  
Mais, par crainte des adultes, ne dirent mot.
  
Quelques-uns dirent :
- S'il n'y avait pas le pélican, nous viendrions avec toi, mais nous avons peur de la poche du pélican.

Au bord de la rivière, il y avait un village.
  
Les femmes et les filles lavaient dans la rivière, la vaisselle et le linge.

Le Petit Poisson Noir écouta quelques temps leur brouhaha et regarda les enfants   se baigner.
  
Il repartit, nagea, nagea et nagea encore, jusqu'à la tombée de la nuit.
  
Il se coucha sous une pierre. Au milieu de la nuit, il se réveilla et la lune éclairait tout.
  
Le Petit Poisson Noir aimait beaucoup la lune. Les nuits où le clair de lune illuminait son cours d'eau, il avait envie de se glisser dehors et de lui dire quelques mots. Mais, à chaque fois, sa mère se réveillait, l'attirait sous les mousses et le recouchait à nouveau.
  
Le petit poisson alla vers la lune et la salua :  
-Bonjour ma belle lune
  
- Salut, petit poisson. Que fais-tu là, loin de chez toi ?

- Je visite le monde.

- Le monde est très grand, tu ne peux pas tout visiter.
  
- Tant pis, j'irai jusqu'où je pourrai aller.

- J'aurais voulu rester à tes côtés jusqu'au matin, mais un grand nuage noir se dirige vers moi et il va m'empêcher d'éclairer.
  
- Belle lune ! J'aime beaucoup ta clarté, j'aurais voulu de tout cœur que tu m'éclaires toujours.
  
- Cher petit poisson ! A vrai dire, je ne crée pas ma lumière. Le soleil m'illumine et moi je le reflète sur la terre. Dis-moi, as-tu entendu dire que dans quelques années les hommes veulent se poser sur moi ?
  
-C’est impossible ! chuchota le Petit Poisson.
  
-C’est un travail complexe, mais, les humains font ce qu’ils…
  
La lune n'eut pas le temps de finir. Le nuage noir arriva et couvrit le visage de la lune et la nuit redevint sombre. Le petit poisson resta seul.

Pendant quelques minutes, ébahi et stupéfait, il regarda l'obscurité, ensuite il rampa sous la pierre et s'endormit.
  
Il se réveilla à l'aube. Au-dessus de sa tête, il vit quelques poissons minuscules qui chuchotaient. Dès qu'ils le virent se réveiller, ils lui dirent d'une seule voix :
- Bonjour !
  
- Le Petit Poisson Noir les a reconnus et dits :
« Bonjour ! Finalement vous m'avez suivi ! »
  
Un des poissons dit :
- Mais, notre peur est toujours présente.

Un autre dit :
- La pensée de l'existence du pélican ne nous laisse pas tranquille.
 
- Vous pensez trop. Il ne faut pas constamment penser. Dès que l'on prendra la route, la peur disparaîtra complètement.

Mais, lorsqu'ils voulurent partir, ils virent l'eau se refermer autour d'eux. Tout devint sombre et il ne restait plus aucune issue.
  
Le Petit Poisson Noir comprit immédiatement qu'ils étaient emprisonnés dans la poche du pélican et dit aux poissons minuscules :

- Amis ! Nous sommes pris au piège dans la poche du pélican, mais, il nous reste une possibilité de nous en sortir.
  
Les poissons minuscules se mirent à pleurer et à gémir.
  
L'un d'eux dit :
- Nous ne pouvons pas nous évader. Tout est de ta faute. Tu nous as séduits. Tu nous as écartés du droit chemin, tu nous as induits en erreur.
  
Un autre dit :
- Maintenant, il va nous avaler, cela sera terminé pour nous !
  
Soudain, un grand éclat de rire terrifiant enveloppa l'eau. Ce fut le rire du pélican, il riait et disait.

- Quels minuscules poissons ai-je attrapés !? Haha ha… Vraiment, j'ai pitié de vous ! Je n'ai même pas le cœur de vous avalé ! Haha ha…

Les poissons minuscules le supplièrent et dirent :
- Excellence, Monsieur Le Pélican ! Depuis longtemps, nous n’avons entendu que des éloges sur vous. Auriez-vous la bienveillance d'ouvrir votre bec béni pour que nous puissions sortir ? Votre sainteté, nous vous serions dévoués à jamais !

Le pélican leur répondit :
- Je ne veux pas vous avaler maintenant. J'ai des poissons en réserve. Regardez en bas…

Quelques poissons de toute taille se trouvaient au fond de la poche. Les poissons minuscules dirent :
- Son Altesse, Monsieur Le Pélican, nous n'avons rien fait, nous sommes innocents, c'est ce Petit Poisson noir qui nous a écartés du droit chemin…

Le Petit Poisson Noir dit :
- Les peureux ! Vous imaginez que ce pélican fourbe est une mine de clémence, pour que vous le suppliiez ainsi ?
  
- Tu ne sais même plus ce que tu dis, tu verras, comment Sa Majesté Monsieur Le Pélican nous pardonnera et comment il t'avalera toi.
  
Le pélican dit :
- Oui, je vous pardonnerai, mais à une condition.

- Oui, Votre Excellence, dites votre condition.
  
- Etranglez ce poisson intrépide pour obtenir votre liberté.

Le Petit Poisson Noir se tint à l'écart et dit aux poissons minuscules :
- N'acceptez pas ! Cet oiseau rusé veut que nous nous entre-déchirions. J'ai un plan…

Les poissons minuscules ne pensaient qu'à leur délivrance. Ils ne réfléchirent à rien d'autre et se ruèrent vers Le Petit Poisson Noir. Mais,   il se retira au fond de la poche et dit à voix basse :
- Lâches ! De toute manière, vous êtes tombés dans le piège. Vous n'avez plus aucune possibilité de salut et vous êtes plus vulnérables que moi.

- Nous devons t'étrangler, nous voulons notre liberté !
  
- Avez-vous perdu raison ?! Même si vous m'étranglez, vous ne trouverez pas votre liberté. Ne vous laissez pas séduire et tromper par ce pélican.

- Tu dis ça pour sauver ta peau. Tu ne penses pas à nous.
  
- Ecoutez-moi bien. Je vais vous montrer la voie. Je vais faire le mort au milieu des poissons sans vie. Alors, nous verrons si le pélican vous libère. Si vous n'acceptez pas ce que je viens de vous dire, je vous éliminerais tous avec ce poignard, je déchirerais la poche et je m'enfuirais et tant pis pour vous…
  
L'un des poissons minuscules l'interrompit et cria :
- Cesse enfin ! Je n'ai plus la patience d'écouter tes paroles.

Et, il se mit à pleurer…

Le Petit Poisson Noir vit ses pleurs et dit :
- Pourquoi avez-vous emmené ce poisson chichiteux et pleurnichard ?
  
Alors, il sortit le poignard et le brandit sous leurs yeux. Ils furent contraints d'accepter sa proposition. Ils simulèrent une échauffourée et le poisson noir fit semblant de mourir. Ensuite, ils remontèrent et dirent :
- Son Altesse Monsieur Le Pélican, nous avons étranglé le poisson noir intrépide…

Le pélican rit et dit :
- Vous avez bien fait. Maintenant, pour vous récompenser, je vais vous avaler vivant pour que vous fassiez une bonne promenade dans mon ventre !
  
Les poissons minuscules n'eurent pas le temps de réagir et furent précipités dans l'estomac du pélican. Ainsi, le pélican se débarrassa d'eux. Mais, au même moment, Le Petit Poisson Noir, lui, avait eu le temps de déchirer d'un seul coup de poignard la poche du pélican.
  
Il s'enfuit. Le pélican hurla de douleur et rentra vivement sa tête dans l'eau, mais il ne put suivre Le Petit Poisson Noir.
  
Le petit poisson nagea, nagea et nagea encore, jusqu'à midi.
  
A présent, la montagne et la vallée étaient invisibles. Le fleuve traversait une plaine plate et découverte.

De gauche et de droite, quelques petits ruisseaux et rivières, le rejoignaient et décuplaient son eau.
  
Le Petit Poisson Noir jouissait de l'abondance de l'eau. Brusquement,   il reprit ses esprits et vit que le fleuve n'avait plus de fond. Il allait   d'un côté, de l'autre et ne touchait aucun bord. Il y avait tellement d'eau que le poisson s'y perdit ! Il nageait librement. Sa tête ne heurtait aucun   endroit.

Soudain, il vit un long et grand animal l'assaillir comme un éclair. Il fut à deux doigts de la bouche d'une scie de mer. Le petit poisson crut un instant que le poisson-scie allait le déchiqueter. Il s'échappa et remonta en   surface.

Quelques moments plus tard, il retourna voir le fond. Au cours de sa traversée, il rencontra un banc de poissons. Des milliers et des milliers de poissons.

Il demanda à l'un d'eux :
- Ami ! je suis étranger, je viens de loin, où est-on ici ?

Le poisson appela ses compagnons et dit :
- Regardez ! Un nouveau…

Ensuite, il lui dit :
- Ami, bienvenue à la mer !
  
Un autre poisson ajouta :
- Certains ruisseaux et rivières se déversent dans les fleuves et les fleuves dans les mers. D'autres cours d'eau peuvent se perdre dans les marais ou dans les lacs.
  
Un autre dit :
- Tu pourras te joindre à nous.

Le Petit Poisson Noir était ravi d'arriver enfin à la mer :
- Je souhaiterais d'abord explorer ce lieu. Je vous rejoindrai ensuite. Je voudrais être en votre compagnie quand vous entraînerez le filet du pêcheur au fond de la mer.

Un des poissons dit :
- D'ici peu de temps ton désir sera exaucé. Maintenant, va te promener, mais si tu remontes à la surface, sois attentif à la mouette. Car, en ce moment, elle ne craint personne et chaque jour, elle chasse quatre ou cinq poissons. Elle ne nous laisse pas tranquilles.
  
Alors, Le Petit Poisson Noir quitta le groupe et se mit à nager.
  
Peu de temps après, il revint à la surface de la mer. Un beau soleil brillait. Le petit poisson sentait les rayons du soleil chauffer son dos et y prenait plaisir.
  
Paisible et gai, il nageait et se disait : « La mort peut facilement me frapper. Mais, tant que je pourrai, je l'éviterai. Bien sûr, un jour, je serai face à la mort. L'important est quelle empreinte laissera ma vie et ma mort, dans celle d’autrui… ».
  
Il ne put continuer longtemps sa pensée. Une mouette arriva, l'emporta et s'envola. Le petit poisson se débattit dans le long bec de l'oiseau. La mouette serrait tellement fort son dos qu'il commençait à perdre connaissance.
  
Combien de temps un poisson peut-il rester hors de l'eau ? Se demanda le petit poisson. Il espéra un moment, que l'oiseau le mangerait tout de suite pour bénéficier au moins de l'eau et de l'humidité de son ventre, et ainsi reculer de quelques minutes sa mort.

Le Petit Poisson Noir dit à la mouette :
- Pourquoi ne me manges-tu pas vivant ? Je suis un de ces poissons qui, après sa mort, devient vénéneux.
  
L'oiseau ne dit mot et pensa : « Oh ! Le malin. Veux-tu me duper ?Veux-tu me faire parler pour que je te relâche ».

Au loin, la une terre apparut et se rapprocha peu à peu. Le petit poisson pensa : « Si on arrive à la terre, ça sera terminé pour moi ».
  
Il dit à la mouette :
- Je sais que tu veux m'emmener à tes enfants, mais le temps qu'on arrive à la terre, je serai mort et mon corps sera devenu plein de venin. Pourquoi n'as-tu pas pitié de tes enfants ?
  
La mouette pensa : « La prudence est une bonne chose ! Je vais te manger moi-même et pour mes enfants j'en pêcherai d'autres… Mais, voyons, n'est-ce pas une fourberie ? Non, non, tu ne peux rien faire ! »
  
Tandis que la mouette s'interrogeait, elle sentit le corps du poisson devenir flasque et immobile. Elle réfléchit : « il est mort, et maintenant, je ne peux plus le manger. J'ai gâché inutilement ce poisson délicat et tendre. »
  
Elle interpella le petit poisson :
- Hé ! Petit ! Es-tu encore vivant pour que je te mange ?
   
Elle ne put terminer sa phrase, car dès qu'elle ouvrit son bec, le Petit Poisson Noir sauta et commença une vertigineuse descente. La mouette se rendit compte qu'elle s'était fait berner.
  
Elle se mit à la poursuite du poisson. Celui-ci plongea comme un éclair dans l'air. Le désir ardent de l'eau lui procurait des forces. Il confia ses nageoires sèches à l'humidité du vent de la mer.
  
Mais, dès qu'il tomba dans la mer et qu'il reprit son souffle, la mouette arriva très vite sur lui.
  
Cette fois-ci, elle attrapa le poisson à une telle vitesse qu'il ne comprit pas de suite ce qui lui était arrivé. Il sentait tout simplement que   tout était humide, sombre et sans issue autour de lui.
  
Alors, il distingua des pleurs. Quand, ses yeux furent habitués à l'obscurité, il vit un poisson minuscule accroupi dans un coin. Il pleurait et réclamait sa mère.
  
Le Petit Poisson Noir s'approcha et dit :
- Petit ! Lève-toi réfléchis à une solution. Qu'est-ce que cela signifie ! Tu pleures et tu réclames ta mère !?
  
- Qui es-tu encore ? Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ? Ho…Ho…Ho… Maman, je ne peux plus venir avec toi pour emmener le filet du  pêcheur au fond de la mer. Ho…Ho…Ho…

- Arrête ! Tu déshonores tous les poissons.
  
Quand le poisson minuscule arrêta de pleurer, le poisson noir lui dit :
- Je veux éliminer la mouette pour ramener la paix chez les poissons.

Mais avant, il faut que je te renvoie dehors, pour que tu ne fasses pas de scandale.

- Tu es en train de mourir, comment veux-tu éliminer la mouette?
  
Le Petit Poisson Noir montra son poignard et dit :

- Je vais déchirer son ventre. Maintenant, écoute-moi bien. Je vais me remuer dans tous les sens pour chatouiller l'oiseau et dès qu'il ouvrira son bec et  commencera à rire aux éclats, tu sauteras dehors.
  
- Et toi alors ?
  
- Ne pense pas à moi. Tant que je n'aurai pas éliminé cette canaille,   je ne sortirai pas.
 
Le poisson noir commença à bouger dans tous les sens dans le ventre de la mouette et la chatouilla. Le poisson minuscule se tint près de l'entrée del'estomac de l'oiseau. Dès qu'elle ouvrit son bec et se mit à rire aux éclats, le poisson minuscule sortit. Il tomba dans la mer. Il attendit, mais ne vit pas sortir, Le Petit Poisson Noir.

Soudain, la mouette cria et se tordit dans tous les sens. Elle se débattit, descendit et tomba dans la mer. Elle s'agita jusqu'à ce que tout mouvement cesse. Mais, le poisson minuscule n'eut plus aucune nouvelle du   Petit Poisson Noir.

Et, aujourd'hui encore personne ne sait ce qu'il est devenu… »

Le vieux poisson finit son récit et dit à ses douze mille enfants et petits-enfants :
- Mes enfants, il est temps d'aller se coucher.

Les enfants et petits-enfants dirent :
- Grand-mère ! Tu ne nous as pas dit ce qui arriva au poisson minuscule.

Le vieux poisson répondit :
- Ce sera pour demain soir. Maintenant, il est temps de dormir. Bonne nuit.
 
Onze mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf petits poissons dirent « Bonne Nuit » et allèrent se coucher.

La grand-mère s'endormit aussi.
 
Mais, un petit poisson rouge, malgré tous ses efforts, ne put s'endormir.

Jusqu'au matin, il pensa à la mer…
 
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